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samedi 18 août 2012

Objet de passion à l'ordinaire







" Il y a les objets de musée et les autres. Ces catégories sommaires et souvent arbitraires reposent sur des critères fragiles de réputation et d'habitude. Les sociétés changent mais tout le monde n'a pas le même mauvais goût. Qui sait ce que dans un siècle le musée recueillera de notre temps ? Peut-être précisément le plus éphémère parce que devenu le plus rare et c'est avec ce regard du conservateur de demain qu'il convient de considérer le document d'aujourd'hui, banal et dérisoire, comme l'étaient ces mêmes objets familiers et précieux des temps passés qui sont le charme de nos musées.








On ironise volontiers sur le collectionneur que l'on tient pour un personnage généralement désuet dont l'activité frise l'obsession pathologique. Sérieusement, c'est faux. Ou alors il faut tenir pour maniaques, absurdes, tordues, toutes les bonnes gens qui conservent à différents titres notre patrimoine sentimental, esthétique. Notre culture est faite aussi bien de ces objets communs, que par accident l'amateur privilégie, que des chefs-d'œuvre du Louvre dont le prestige repose quelquefois sur des conventions et sur l'autorité qui s'attache à des mythes. La notion d'art est fluctuante et il suffit qu'un fer à chaussure soit exposé dans un musée pour qu'il soit investi d'une signification nouvelle qui lui est proprement étrangère. C'est ridicule mais ainsi le veut la mode du moment : il est bien évident que l'intérêt attentif et peut-être exagéré que nous portons aujourd'hui à des machins détournés de leur sens primitif ne s'expliquerait pas sans la vision que nous en avons actuellement après une génération pénétrée de technologie, d'ethnologie, d'écologie, de nouveau réalisme, de figuration narrative, d'art minimal, pauvre et conceptuel, une génération enfin qui, cherchant dans le désordre à imaginer un ordre plus conforme à ses aspirations, affecte volontiers la parodie pour mieux remettre en cause la tradition des idées subies.








Il va de soi que les collectionneurs ne sont pas solidaires encore moins conscients de cette situation mais par contre, et plus que d'autres sans doute, ils éprouvent la nostalgie d'un monde qui se défait et la nécessité, chacun à sa manière et à sa mesure, d'en sauver les bribes pour qu'elles portent témoignage. Car tout n'était pas aussi consternant qu'on le dit  ni plus absurde... mais peut-être qu'il y a aussi, dans l'accaparement ou la possession des valeurs, surtout les plus fugitives, comme une manière de s'approprier le temps, de se prémunir instinctivement contre la mort qui guette.
Les objets sont des témoins précieux. Ils relèvent aussi bien de la notion traditionnelle de  l'art  que de  la   mode  ou  plus  généralement  de   l'histoire  des  mœurs.  Mais un dénominateur commun  les rassemble :  c'est la passion.de ceux qui les ont réunis, une  passion qui se moque des moyens, une passion créatrice qui suppose méthode, patience obstination, érudition. Parce que la passion est une, absolue, elle exclut toute celle des genres, des arts et des objets. "

François Mathey in Préface du cataloque ILS COLLECTIONNENT, Musée des arts décoratifs Paris 1974.







Photos 1,2,3, Versus
Photos 4 et 5, catalogue du Musée des arts décoratifs 1974.

lundi 6 août 2012

Les vacances de l'objet








" Le plus souvent on a le plus grand mal à imaginer derrière la perfection machinique de l'objet de série, non seulement un auteur qui l'aurait conçu, mais la main de quelqu'un, ou simplement un travail physique quelconque. L'idée même d'un "travail », derrière certains objets, paraît parfois de trop. Rien de plus insaisissable dans la manufacture que la trace d'une main. Ce n'est même pas qu'on soit impuissant à l'imaginer, c'est qu'on n'y songe même pas. Derrière ce genre d'objet, il n'y aurait personne, qu'une parfaite machine, produite elle-même
par d'autres parfaites machines... Au point qu'on est tout surpris de découvrir, au hasard d'un reportage télévisé, le type qui, à genoux et langue tirée, aura passé un temps infini à polir un miroir absolument parfait, sans aucune trace justement, ni de machine, ni de lui ; on pourrait dire qu'il ne travaille qu'à effacer
toute trace de travail, il travaille à s'effacer lui-même.
Comme si la grande industrie partageait avec la science moderne le souci d'écarter et d'effacer toute trace de sujet ( mais il n'y a que des sujets pensants qui puissent même penser effacer des traces, et effacer leurs propres traces)."


 
Gérard Wajcman L' objet du siècle Verdier éditeur 1998.








Photos Versus 2012.