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jeudi 12 septembre 2013

Vérité fraîche





VÉRITÉ FRAîCHE

" C'était la vérité, d'accord. Et toute nue, d'accord. Malheureusement elle était cuite. Cuite et recuite. Avouons-le : réchauffée. On veut une vérité toute crue. Et bien fraîche, évidemment. On l' aime comme le turbot, la vérité. "


NORGE

Les oignons sont en fleur dessins de Serge Creuz, éditions Jacques Antoine 1979.





Photos Versus.
1-Peinture anonyme.
2- Édition originale du recueil de Norge avec envoi de l' auteur et un poème inédit manuscrit, collection Versus. 

vendredi 6 septembre 2013

Eugène Delacroix : penser la peinture ou peindre la pensée?





 A propos du JOURNAL de Delacroix.

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"  On y trouve d'abord ceci : l'image d'un homme qui se bat corps à corps avec sa propre pensée en même temps qu'avec sa toile, sa palette et ses pinceaux, pour fabriquer une œuvre. Lorsque Delacroix prend la plume, ce n'est pas pour accorder ensemble quelques idées. Il n'est pas un théoricien abstrait. Il est un créateur, ses pensées sont celles d'un homme d'action. C'est pourquoi il lie constamment, dans les pages de son Journal, les problèmes dits techniques de la peinture et ceux, dits philosophiques, que lui pose son existence d'homme. Par cette façon qui est la sienne d'associer intimement, ou plutôt de ne pas dissocier arbitrairement la méditation et la pratique concrète de son art, Delacroix donne déjà corps à une conception qui met au premier plan, de façon nouvelle parce que plus consciente, la liberté et la pleine responsabilité créatrice de l'artiste : dans les arts plastiques, les moyens expressifs de la technique sont indissolublement ceux de la pensée. Attitude dont le recul de temps nous empêche peut-être de bien voir le caractère déjà très moderne. Les jeunes générations des années 1900, qui firent du Journal de Dela­croix un livre de chevet, pouvaient comprendre ce que cette conception contenait de ferments révolutionnaires. Le grand effort romantique, son esprit de conquête avaient mis à nu le divorce des formes anciennes de l'art et de la société indus trielle naissante. Mais on pouvait trouver davantage dans l'exemple de Delacroix : les voies et moyens d'une réconcilia­tion possible de l'art et du monde moderne. Sa conception de l'activité artistique supposait en effet, par principe, le droit et le pouvoir que possède l'artiste d'inventer librement des formes neuves pour l'expression de sa pensée.





 

Baudelaire a bien compris ce que la démarche intellectuelle du peintre avait de nouveau. Il souligne ce qui peut nous paraître évident, mais ne l'était pas assez de son temps : Eugène Delacroix, en même temps qu'un homme épris de son métier, était un homme de culture générale, dit-il par exemple. C'est vrai, Delacroix est un penseur, et se veut tel, lorsqu'il peint. Il n'est pas absolument le premier à avoir proclamé ainsi la haute fonction intellectuelle de l'art, activité de l'esprit et non seulement habileté de la main ou affaire de bon goût. Mais il le fait avec éclat et à sa façon, qui d'ailleurs ne va pas sans confusion. Lui qui sut jouer à la fois sur le double clavier des images et des mots, il distingue mal ces deux modes différents de l'activité intellectuelle. Il subor­donne encore le premier au second. Pour lui, l'Idée ou la conception de l'œuvre d'art continue de ressortir davantage à la pensée discursive qu'à une pensée proprement plastique. En quoi il demeure malgré tout un artiste du passé. Quand j'ai fait un beau tableau, proteste-t-il à vingt-quatre ans, je n'ai pas écrit une pensée! Qu'ils sont simples! Écrire une pensée? Avec quel jeu des couleurs et des lignes, quelle expressivité de la touche, quelles figures symboliques et quelle organisation de leurs signes sur la toile ? Le Journal répond à ces questions et montre ainsi sur le vif l'effort de la pensée qui se réalise dans les formes mêmes du langage plastique. Cependant Delacroix n'a jamais voulu que cet effort créateur aille jusqu'à arracher la nouvelle peinture au monde imaginaire et formel qui est celui de la tradition humaniste, où l'imagi­nation artistique se trouve très soumise jusque dans ses modes d'expression aux préconceptions de la pensée religieuse, poli­tique ou morale et à la culture littéraire. En ce sens, Dela­croix infuse un sang neuf aux vieux mythes plutôt qu'il ne crée des mythes neufs pour les temps modernes. C'est un nouveau développement de l'ancienne peinture qu'il propose, lorsqu'il en ré-incarne les thèmes, les pensées traditionnels dans des figures et dans une dramaturgie nouvelles, emprun­tées à la littérature contemporaine, aux légendes nordiques, à l'imagerie orientale. Tout le drame de l'œuvre de Delacroix est là, en effet, celui qui oppose l'esprit de conquête roman­tique à ce qu'il nomme lui-même son classicisme. C'est dans le domaine déjà circonscrit de la tradition culturelle, et sans pouvoir s'en évader, que le romantique Delacroix défriche."

Marc Le Bot, Delacroix et la tradition in Revue EUROPE Avril 1963.









Photos Versus.